Une maison de poupée Extraits

D’après Une maison de poupée de Henrik Ibsen, 1879

Traduction de Pierre Georget La Chesnais

Torvald : Nora, comme tu es ingrate ! N’as-tu pas été heureuse ici ?

Nora : Non ; je ne l’ai jamais été. Je le croyais ; mais je ne l’ai jamais été.

Torvald : Non… pas heureuse ?

Nora : Non ; seulement gaie. Et tu as été toujours si gentil avec moi. Mais notre foyer n’a jamais été rien d’autre qu’une chambre à jouer. J’ai été ici ta femme-poupée, comme chez papa j’étais son enfant-poupée. Et les enfants, à leur tour, étaient mes poupées. Je trouvais que c’était agréable, quand tu me prenais et jouais avec moi, comme ils trouvaient que c’était agréable, quand je les prenais et jouais avec eux. Voilà ce qu’a été notre mariage, Torvald.

Torvald : Il y a du vrai dans ce que tu dis,… Si exagéré, si outré que ce soit. Mais il en sera autrement désormais. Le temps du jeu est fini ; maintenant va venir celui de l’éducation.

Nora : L’éducation de qui ? La mienne ou celle des enfants ?

Torvald : A la fois la tienne et celle des enfants, ma Nora chérie.

Nora : Hélas ! Torvald, tu n’es pas homme à m’élever de façon de faire de moi une véritable épouse pour toi.

Torvald : Et c’est toi qui dis cela ?

Nora : Et moi,… comment suis-je préparée à élever les enfants ?

Torvald : Nora !

Nora : Ne l’as-tu pas dit toi-même tout à l’heure,… tu n’oserais pas me confier cette tâche.

Torvald : Dans un moment d’emballement ! Comment peux-tu en tenir compte ?

Nora : Si ; tu avais grandement raison. C’est une tâche que je ne peux remplir. Il y a une autre tâche à remplir d’abord. Je dois tâcher de faire ma propre éducation. Ça, tu n’es pas homme à m’y aider. Il faut que je sois seule pour cela. Et c’est pourquoi maintenant je te quitte.